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La créativité, outil de lutte contre l’exclusion sociale ?

à propos de ce texte
(*) Intervention d’Henri Clark (Promotion Communautaire - Le Pivot) au colloque "Les CEC s'expliquent... La créativité, outil de lutte contre l’exclusion sociale ?" du 26 novembre 2010, sur base d’une réflexion commune du groupe des 7 CEC travaillant en milieu de grande pauvreté.

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» Centres d’Expression et de Créativité dans le monde de la pauvreté : ce qui nous rassemble, ce qui nous questionne, propositions de reconnaissance (15-05-2007)


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Ce 26 novembre a eu lieu une journée de colloque qui posait la question de la créativité comme outil de lutte contre l’exclusion sociale.

7 CEC (Centre d’Expression et de Créativité) travaillant dans la grande pauvreté ont porté une parole commune, afin de mettre en lumière nos choix fondamentaux qui permettent un véritable accès à la culture pour les plus pauvres.

À lire…
 

Comment permettre aux plus pauvres
de dépasser les freins à la créativité
à partir de l'expérience de 7 CEC
(*)
 


Ce qui réunit, en premier lieu, nos 7 CEC est indéniablement notre choix très engagé pour la population qui vit en milieu de grande pauvreté.

Ce qui nous réunit aussi est, comme le soulignait l’un d’entre nous, l’enracinement historique et dans la durée de notre travail à chacun et de notre travail ensemble.

La plupart du temps, des projets naissent en fonction des opportunités financières ou de subsides accessibles. Pour nous, il en va tout autrement : c'est un engagement avec une population victime de la misère, et en particulier dans sa résistance quotidienne, qui nous rassemble. Le CEC est au service de cet engagement, ce qui implique, notamment de travailler au rythme des plus pauvres et non au rythme de l’activité ou du résultat à atteindre.

Afin de permettre aux personnes que nous rencontrons de rentrer dans une démarche créative, nos CEC sont évidemment confrontés aux mêmes questions que les autres CEC mais nous devons trouver des réponses spécifiques et adaptées afin de respecter ce rythme des plus pauvres.

Depuis longtemps également, nos CEC se retrouvent pour réfléchir ensemble ces réponses spécifiques. Nous nous sommes aussi penchés sur le nouveau décret.

Au nom de notre groupe, je propose ici le résultat de réflexions quant à cinq questions reprises par ce décret et de voir comment nous adaptons notre manière d’y répondre.

« Avoir du public, faire de la publicité pour faire connaître le CEC et ses activités à son public »

Plusieurs de nos CEC prennent beaucoup de temps pour aller à la rencontre des familles. Nous pensons que cette démarche est rare et inhabituelle parmi les autres CEC…

La population que nous rencontrons est malheureusement « habituée » à l’exclusion, et, sauf les plus dynamiques ou les plus débrouillards, la plupart n’entrera pas dans un lieu ou un projet qui pourrait lui être destiné, de peur le plus souvent d’en être exclu.

Au niveau des enfants, nous rencontrons aussi des phénomènes d’habitude de l’échec. Certains d’ailleurs feront tout pour se faire mettre dehors : courir dans les ateliers, déchirer les dessins, insulter les animateurs… Ce qui faisait dire à un père de famille ayant eu ces gestes : « quand j’étais petit, j’étais content de venir aux ateliers, mais j’étais certain que cela n’allait pas durer, alors je testais les animateurs pour voir s’ils voulaient vraiment de moi » !

Les adultes auront ce même réflexe de protection devant une nouvelle proposition comme de venir à des ateliers créatifs : « Ce n’est pas pour nous ça, dira une dame, et puis, je n’ai pas que cela à faire, moi. Je dois me débrouiller pour vivre d’abord ».

Voilà donc une chose importante à laquelle nous sommes confrontés. La population que nous voulons rencontrer n’a plus l’habitude de la rencontre ; elle a même l’expérience de la dangerosité de celle-ci et veut donc se protéger ! Mais malgré tout, une envie est là, camouflée, enfouie… On va donc tester la relation pour ne pas être trop déçu encore une fois.

La population que nous voulons rencontrer est celle qui est partagée entre le fait de trouver les moyens de sa propre survie (alimentaire, logement, etc. mais aussi en dignité) et ses envies, comme chez chacun, d’entrer dans une démarche de création !

Car cette démarche se trouve bien chez eux : la maman qui, un peu en cachette, fabrique des petits déguisements, l’homme qui fait de petits poèmes de 5 lignes sur son GSM, le père qui avec son enfant fait des constructions en allumettes, les puzzles qu’on fait pour décorer sa pièce, etc.

Nous devons donc adapter nos moyens pour permettre l’équilibre entre la survie et permettre la démarche créative.

Nous prenons donc beaucoup de temps pour aller chez eux. Leur rendre visite, prendre le temps de les écouter, de boire un café, d’entendre leurs difficultés et leurs envies. Et alors de pouvoir les inviter à rejoindre les groupes et ateliers.

C’est prendre le temps d’aller trouver les parents des enfants qui viennent aux ateliers pour leur « rendre compte » de l’évolution et des possibilités créatives de leur fils ou de leur fille… « D’habitude quand il y a des gens qui viennent chez nous, c’est pour se plaindre des enfants. On a toujours peur des visites et on se renferme… Mais quand vous venez, vous nous montrez nos enfants d’une manière qu’on peut en être fier ».

C’est aussi retourner les voir même s’ils viennent déjà aux ateliers, ou s’ils ont été absents l’une ou l’autre fois pour reparler de ce qui s’est passé, de ce qu’ils en retirent de positif ou de négatif.

C’est souvent à cette occasion que nous avons l’occasion de rencontrer des nouveaux, des voisins, des amis « Tu vois, c’est elle, la dame avec qui je fais de la peinture, tu devrais venir toi aussi ! »

Là, pour nous c’est gagné ! Et plus important encore que le superbe tableau que la dame a fait…

« La régularité du public »

Notre souci est d’être toujours ouvert et prêt à accueillir quiconque, prêt à l’intégrer d’une manière ou d’une autre dans le processus créatif en cours de projet.

Pour permettre la participation à nos ateliers des personnes vivant la grande pauvreté, nous devons respecter leur rythme de travail, de vie, de présence. Leur situation de lutte contre la survie est, elle, très régulière ! Trop de factures à payer et donc des démarches difficiles à faire en urgence, éventuellement des moments en prison ou d’errance car le logement a disparu, ou encore le placement d’enfants qui ne reviennent à la maison qu’un week-end sur deux, autant de situations qui font que la régularité, en terme d’horaire et d’heures calculées, est autre ! Par contre, les animateurs portent cette régularité et permettent alors aux personnes, enfants comme adultes, de revenir régulièrement à cette démarche de création !

Nous sommes aussi poussé à l’inventivité des moyens : faire des ateliers dans la rue, là où sont les enfants ou les personnes, chez les personnes elles-mêmes quand la maladie y oblige, ou même au café !

Nous devons avoir aussi une rigueur dans la préparation du travail pour que chacun puisse aller au bout de son travail même si son rythme est lent, même s’il a des absences prolongées ou répétées.

Installer un processus créatif

Dans notre travail, nous devons être conscients et tenir compte du passé et du présent d’échec et de stigmatisation vécu par les participants aux ateliers : pour dépasser les peurs, les « c’est pas pour moi », les « j’y arriverai jamais », mais aussi les acquis enfermants, les réflexes soi-disant valorisants, l’autodestruction de son travail ou de celui du groupe par peur de la réussite…

Dans ce sens, nous devons permettre l’accumulation de « petites » réussites créatives, les valoriser très fort, pour fabriquer un passé de réussites qui contrebalance celui d’échecs !

Nous devons sans cesse travailler la cohésion du groupe car la misère divise et le réflexe d’écraser celui qui est plus faible pour se valoriser est une réalité vécue quotidiennement.

Nous devons mesurer au mieux et préparer dans les moindres détails les défis qu’on lance, les thèmes qui déstabilisent, qui remettent en question, les exercices qu’on donne pour ne pas prendre le risque de mener vers un échec de plus.

Nous devons travailler avec le besoin vital de reconnaissance qui bloque les adultes, qui les empêche d’être dans le lâché-prise, dans le ludique « moi, je ne fais pas ça, c’est pour des gosses ! ».

« Le rôle de l’animateur »

L’animateur ou l’équipe d’animation (quand on a la chance d’être plusieurs) assume souvent beaucoup de casquettes à la fois dans nos CEC :

  • Il est artiste animateur aux démarches créatives (et en ce sens doit pouvoir se former aux techniques créatives) ;
  • Il est accompagnateur social, pour le soutien des familles dans leurs démarches et combats ;
  • Il est médiateur dans les relations entre le CEC et d’autres intervenants culturels ;
  • Il est coordinateur au sein de son CEC pour différents projets ;
  • Il est participant car il s’investit aussi avec les autres participants dans les projets ;
  • Il est coordinateur et formateur (à la réalité et à la connaissance de la population) des animateurs bénévoles quand nous avons la chance d’en avoir…

Mais il est surtout et avant tout quelqu’un qui veut la rencontre avec les personnes, enfants ou adultes ! Quand on dit « il veut », cela veut dire non seulement qu’il doit chercher les moyens de la rencontre, mais qu’il doit pouvoir travailler en équipe et y trouver du soutien ! Bref, « il faut être accroché », disait l’une d’entre nous !

Encore plus important, l’animateur est le lien historique de la rencontre avec la population et ses expériences de réussite en création. Il est aussi la mémoire et donc le relais avec les nouveaux animateurs ou les autres institutions.

« Une politique de prix adaptée »

L’accès à la grosse majorité de nos ateliers est gratuit, ce qui prive nos CEC d’une source de financement (ou revenus) complémentaires aux subsides.

Mais en plus, nous avons des frais supplémentaires occasionnés par notre choix de population. En effet, souvent nous allons chercher des gens chez eux pour les amener à l’atelier car nous savons que la démarche est momentanément trop dure pour eux s’ils ne sont pas soutenus, ou simplement que les moyens financiers ne suivent pas.

Nous prenons également en charge les frais de visite d’expo, de déplacement (train…) ou si nous demandons une participation financière, elle est toujours annoncée plusieurs semaines à l’avance pour permettre aux familles de s’organiser et de payer en plusieurs fois par toutes petites sommes.

Pour nous, le fait de payer à la place de l’autre n’est pas de la « charité publique », mais bien un moyen d’abattre des freins car l’enjeu en vaut la peine !

En effet, permettre les visites dans les musées ou les expositions, permettre le voyage, c’est permettre d’avoir de nouvelles images en tête afin de pouvoir en créer de nouvelles ! Permettre la création, c’est lutter contre la pauvreté culturelle.

Et pour conclure…

Notre plus belle création collective (soit les familles et nous) est sans doute celle qui, dans la durée, a créé une histoire ensemble, née de rencontres individuelles puis collectives, pour un avenir meilleur qu’il soit de l’ordre de la créativité, du social ou plus simplement de l’humain !

C’est au travers de cette histoire ensemble que les activités et la logique de création prennent tout leur sens. Mais non l’inverse ! Le résultat créatif est à voir dans la rencontre et la démarche, et non uniquement dans la production…

C’est ainsi que nos CEC en viennent tout de suite à intégrer la réflexion de cette démarche créative dans celle encore plus large de l’éducation permanente et du projet de société soutenu! Mais cette réalité est sans doute à relater une autre fois…

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dernière mise à jour le 26 novembre 2010