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Résistances des plus pauvres à la misère : récit

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» Journée mondiale du refus de la misère 2010

Ce récit est une compilation écrite à partir de la lutte quotidienne, de plusieurs familles militantes dans le mouvement LST, sous la forme d’une histoire de vie.

Matin d’été. La ville s’éveille. Les trottoirs s’animent. Les vitrines offrent l’inaccessible : Marina passe, vite, les yeux baissés. Dans son sac, des papiers, encore des papiers, toujours importants, toujours recommencés. Elle les a emportés avant que son mari ne les voie : les rendez-vous au CPAS le découragent. Ça l’énerve à la longue. Elle va s’accrocher pour deux. Et pour le petit qui a déjà un prénom dans son cœur, Hugo, et – pour le moment – un logis dans son ventre. Bienvenue chez nous, mon bébé !

Rendez-vous au CPAS. Elle ne va pas s’énerver, quand tu t’énerves, on t’enfonce. Une main sur son ventre, elle peut rester calme, polie, déférente. Comme il convient.

Il y a 4 ans, Marina était seule à la naissance de Jessica, sa grande fille, son aînée. Elle allait lui offrir tout ce qui lui avait manqué dans son enfance : une maman dans une maison. un petit jardin, peut-être. Des cahiers neufs à la rentrée.
Raté…

Sans revenu suffisant, tu t’en vas gonfler la liste d’attente interminable pour un logement social. Et les propriétaires, où que tu te pointes avec ton ventre plein et ton porte-monnaie vide, ferment leurs portes.

Ses espoirs s’étaient écrasés quand, deux mois avant d’accoucher, elle avait été exclue du chômage. Elle n’était pas bien, elle ne s’était pas présentée quand il fallait où il fallait. Le CPAS, Marina n’avait pas compris pourquoi, en errance déjà dans son rêve émietté, lui avait refusé le droit au revenu d’insertion.

Manger, se soigner, s’habiller, préparer la naissance, mettre sa petite fille au monde, la nourrir, payer le loyer du petit appartement… Parer vaille que vaille au plus pressé : boucher un trou en ouvre un autre… Et puis, ravaler son chagrin, taire les larmes, museler la colère, se redresser. Repartir. Marina avait emmené la petite de bureau en bureau, de guichet en guichet, de déception en désespoir. On l’envoyait chercher des colis à la banque alimentaire.
Des colis !

Personne n’a pris le temps de s’asseoir avec elle à une table pour faire le point. Voir comment s’en tirer, peu à peu et reprendre pied et confiance dans l’avenir.

Jessica avait fait ses premiers pas sur un chemin sans issue. Six mois plus tard, elle était placée. Quand on veut aider un enfant, ne faut-il pas d’abord aider sa famille ? Marina n’a jamais compris. Elle sait seulement que sans revenu, t’es rien. T’es peut-être même pas un bon parent…

Elle marche sur le trottoir où l’on se presse. Évite l’attrait des vitrines. Les yeux baissés. Ils sont deux maintenant, elle n’est plus seule. Elle va offrir à Hugo ce qu’elle n’a pu donner à Jessica. Et puis, la reprendre elle aussi. Son mari veut bien. Il sera un bon père.

Lui, elle l’a rencontré au plus profond de sa détresse. Elle ne devait même pas être belle ce jour-là. Le malheur n’embellit personne. À la rue lui aussi. Sans boulot, lui aussi. On a ce qu’on mérite, disent les gagnants. Marina ne sait pas où ni quand ni comment ils auraient mérité ça. Elle en rage. Personne ne mérite ça.

Un vague copain leur a prêté une caravane, le temps de mettre d’autres papiers en ordre, de courir d’autres bureaux et d’autres guichets. Ils mendiaient devant les supermarchés, pour manger, pour payer le bus du retour au camping. Elle ne dit pas la honte. Les regards qui jugent mais ne savent pas. Elle ne dit pas. Elle sent le petit bouger au creux d’elle-même et elle pense : plus jamais ça.

Après la caravane, ils ont trouvé une chambre à louer. Trop petite, pas correcte pour recevoir sa fille les week-ends selon l’Aide à la Jeunesse. Alors, Marina allait la voir au home quand elle pouvait payer le bus et le train. Pas souvent. Peur de lire dans les yeux de la fillette qu’elle lui demandait de l’emmener ou peur qu’un jour, elle ne la reconnaisse plus… Rancœur de s’entendre reprocher par les éducateurs ses trop rares visites : quand on place un enfant, ne devrait-on pas veiller à ce que sa maman puisse venir l’embrasser ? Marina ne sait plus. Elle ne discute pas. Elle s’accroche.
Pour Hugo.

De la rue à la caravane puis à la chambre meublée, ils avaient changé de commune. Tout à refaire. Chercher un travail. Recommencer les démarches. Se justifier. Se réinscrire partout. patienter. Restaurer ses droits, c’est la galère. CPAS, ONEM, syndicats se renvoient la balle. Tu prends les coups. Tu plies. Même si tu n’en penses pas moins.

Trop petite la chambre, trop chère aussi.
Alors, en attendant… Pour ne pas dormir à nouveau sous les ponts, ils ont trouvé une place dans une maison d’accueil. Mixte heureusement. Ensemble heureusement. Une bulle d’amour autour du petit. Il naîtra dans trois mois.

Ce qu’ils attendent ? Ce pourquoi ils bataillent ? Le paradis. L’impossible. Gagner leur vie. Être chez eux. Comme tout le monde.

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dernière mise à jour le 13 octobre 2010