accueil > Pauvreté ? > Vivre pauvre, c'est résister à la misère > Pauvreté, précarité, misère… De quoi parle-t-on ?

Pauvreté, précarité, misère… De quoi parle-t-on ?

autres thèmes
» Thème lié :
Vivre pauvre, c'est résister à la misère


» Tous les thèmes

Pauvreté, précarité, misère… De quoi parle-t-on ?
La confusion qu’on entretient entre ces termes est dangereuse.

Et il convient de savoir de quoi on parle par respect pour les personnes et les familles qui vivent dans la détresse, et luttent pour en sortir.

Dire les souffrances, le combat et les luttes permanentes contre la grande pauvreté, c’est le challenge du mouvement LST. Pour la dignité des plus pauvres. Pour faire changer les choses…

Dire ce qu’est la pauvreté est beaucoup plus délicat.

Prenons le risque d’entrer un peu plus avant dans une définition.

Du point de vue économique,
on ne peut pas parler de la grande pauvreté
sans parler d’abord du partage des richesses

La grande pauvreté est le résultat, au moins en partie, d'un partage non équitable des richesses disponibles. C'est d'autant plus inacceptable, que, au niveau du monde, on connaît actuellement le premier moment de l'histoire où un partage équitable permettrait à chacun de voir ses besoins fondamentaux satisfaits. Et, on reste très loin de cette garantie élémentaire, voire on s'en écarte encore.

Depuis les débuts de l’industrialisation, la résistance des travailleurs, par la création de rassemblements syndicaux, pour réguler autant que possible les conditions de travail et le partage plus équitable des résultats, a permis de grandes victoires.

Au nom de la concurrence, elles sont fragilisées aujourd’hui par un sérieux recul des législations qui protègent les droits des travailleurs et la sécurité sociale. Le rapport entre le salaire d’un travailleur et celui d’un patron s’est envolé ces dernières années. Ce constat doit encore s’étendre aux bénéfices plantureux des rentiers. Le nombre de millionnaires ne cesse de croître.

Au niveau mondial : En 2018, 26 personnes détiennent autant de richesses que les 3,8 milliards de personnes qui représentent la moitié la plus pauvre de l'humanité. Source : Oxfam, 2019
Depuis 2015, les 1 % les plus riches possèdent désormais davantage que les 99 % restants. Ils alimentent la crise des inégalités en éludant l'impôt, en réduisant les salaires et en utilisant leur pouvoir pour influencer la politique. Source : Oxfam, Une économie au service des 99 %, Oxfam, 2017 | Communiqué

En Belgique : En 2017, sur le plan du patrimoine, les 1% des Belges les plus riches possèdent 17,5% des richesses disponibles en Belgique. Les 10% les plus riches possèdent 47% des richesses de Belgique. Les 50% les plus pauvres des Belges possèdent ensemble 9,5% des richesses de Belgique.
Sur le plan des revenus, les 1% les plus riches des Belges ont empoché 21% des richesses créées en 2017. Source : Oxfam

La pauvreté est utile
au maintien des inégalités

Au cœur de cette accumulation indécente des richesses par quelques-uns, les plus pauvres sont, malgré eux, utilisés pour détruire les armes de l’équité.

  • La misère est très utile au capital, elle est un régulateur important des revendications salariales des travailleurs. S’il n’y avait pas autant de travailleurs sans emploi, et donc sans salaire, il n’y aurait pas une seule personne qui se lèverait le matin à 5 heures pour conduire un bus, rentrer à 17 heures, et gagner 1 200 euros par mois.
  • La misère est encore utile parce qu’elle permet, au nom de l’ "arme alimentaire", de faire travailler des personnes dans des conditions infra-légales, et, par là, détricote les droits et protections des travailleurs. Un des premiers chemins utilisé dans ce sens, en Belgique, c’est le contrat ALE. Au nom d’un petit supplément de salaire pour le demandeur d’emploi indemnisé, on bouscule d’une seule fois, de manière légale, les protections les plus élémentaires : plus de contrat, plus de temps de travail minimum, plus de salaire minimum, plus de convention collective,… et un intérêt certain pour l’utilisateur (caution morale). Puisqu’il fonctionne, on développera cet arsenal de mille manières, titres-service, EFT, … Il conviendrait encore de parler des concurrences déloyales de ces services avec les entreprises qui les assurent dans le cadre commercial.

Du point de vue des droits de l’homme,
résister à la misère, c’est d’abord être quelqu’un,
acteur enraciné dans les liens d’une famille et d’une société

Une approche fondamentalement différente définit la grande pauvreté comme une atteinte aux droits de l’homme.

Dans son Histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle, le Pr. André Gueslin écrit : « Ce qui change surtout au XXè siècle, en tous cas dans son dernier tiers, c’est que la pauvreté devient un enjeu des luttes politiques (…) la plus grande réussite politique a sans doute pour auteurs Joseph Wresinski et l’association ATD Quart Monde qui parviennent à convaincre les leaders d’opinion que le combat en faveur des pauvres n’est rien d’autre qu’un combat en faveur des droits de l’homme » [1].

En fait, cette association apporte une nouveauté plus grande encore à la connaissance de la pauvreté, tout particulièrement, en 1969, par le terme « quart-monde ». « Pour réorienter le regard de l’opinion publique sur la pauvreté dans les pays riches, nommer une population défavorisée et lui permettre de s’identifier comme acteur » [2]. C’est sans doute le premier des droits de l’homme, d’être quelqu’un, acteur enraciné dans les liens d’une famille et d’une société. Participant des choix et des orientations qui déterminent la gestion de la cité.

Résister à la misère, c’est d’abord reconnaître que les premiers acteurs de cette action sont les plus pauvres eux-mêmes. Entendre leur point de vue et garantir leurs analyses et leurs paroles dans les lieux de décision est essentiel. Personne n’a le droit de porter cette parole au nom des plus pauvres. C’était déjà toute l’ambition développée par Dufourny De Villiers dans « les cahiers du Quatrième ordre» [3] ; proposition qui engendrera le mot Quart Monde.

Distinguer clairement pauvreté, précarité
et misère ou grande pauvreté

La confusion qu’on entretient entre ces termes est particulièrement dangereuse. Il convient de savoir clairement de quoi on parle.

La pauvreté peut être une valeur : dans la plupart des grandes religions, mais aussi dans les lieux de réflexion et de pensée humanistes, c’est une valeur recherchée pour ouvrir les chemins de la sagesse, de la paix, du bonheur…

La précarité est une fragilité ou une mise en danger, mais qui ne menace pas gravement la dignité ou l’avenir de la personne. Elle peut être résolue, dans des échéances convenables, par la personne elle-même ou par ses solidarités immédiates. Dans ces solidarités, on peut inscrire l’aide sociale et la sécurité sociale. La précarité peut être la conséquence d’une perte d’emploi, d’une maladie, d’un accident,…

La misère ou la grande pauvreté est d’un tout autre ordre. Charles Péguy [4] distingue la misère de la pauvreté dans le fait que, pour demain, le vrai nécessaire, du pain et du livre, les droits fondamentaux, soient garantis ou non. Et le premier devoir social est d’arracher les hommes à la misère. Ou bien de garantir pour tous, les droits fondamentaux.

Joseph Wresinski propose une définition qui sera reprise par l’ONU : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs de sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. » [5].

Le droit à la dignité de la personne

Cette définition inscrit la misère ou grande pauvreté comme le résultat d’une accumulation de non droits matériels et de non droits sociaux, qui durent, et qui abîment tellement la personne ou la famille qu’elle ne peut plus garantir sa dignité par ses propres forces et par ses solidarités.

C’est cette situation de mépris qui enferme dans l’écart et le silence. Même plus le droit au cri face à la douleur insupportable qui s’impose, puisqu’il ne sera pas entendu ou qu’il ne sera qu’une nouvelle cause de condamnation et de mépris.

Il nous revient de garder une attention particulière sur l’utilisation de ces mots, tous du langage courant, mais tellement différents dans ce qu’ils représentent. Sans doute, confondre les mots, c’est déjà nous libérer de notre responsabilité de nous mobiliser avec les plus pauvres.

 

[1] André Gueslin, Les gens de rien. Une histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle, Ed. Fayard, 2004.

[2] Xavier Godinot, "Eradiquer la misère, démocratie, mondialisation et droits de l'homme", PUF, Vendôme, novembre 2008, page 15.

[3] Louis-Pierre Dufourny de Villiers, Cahiers du quatrième ordre, celui des pauvres journaliers, des infirmes, des indigens, etc., l'ordre sacré des infortunés, ou Correspondance philanthropique entre les infortunés, les hommes sensibles et les Etats-généraux... : N °1, 25 avril 1789, Éditions d'histoire sociale, Paris.

[4] Charles Péguy, De Jean Coste, Gallimard, Paris, 1905.

[5] Joseph Wresinski, Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Avis et rapport du Conseil économique et social, Journal officiel de la république française, février 1987, p. 6.

page précédentetop
Contacts Creative Commons License
dernière mise à jour le 1 février 2019