Ceux qui la vivent sont réellement en première ligne pour en parler.
Pour dire comment peut s’emballer la spirale de la précarité.
Pour témoigner de leurs luttes et de l’espoir, toujours à reconstruire…
Visite guidée.
Matin d’été. La ville s’éveille. Les trottoirs s’animent. Les vitrines offrent l’inaccessible : Marina passe, vite, les yeux baissés. Rendez-vous au Centre public d’Aide sociale. Dans son sac, des papiers, encore des papiers, toujours importants, toujours recommencés. Elle les a emportés avant que…
... son mari ne les voie : les rendez-vous au CPAS le découragent. Ça l’énerve à la longue. Elle va s’accrocher pour deux. Et pour le petit qui a déjà un prénom dans son cœur, Hugo, et – pour le moment – un logis dans son ventre. Bienvenue chez nous, mon bébé !
Rendez-vous au CPAS. Elle ne va pas s’énerver, quand tu t’énerves, on t’enfonce. Une main sur son ventre, elle peut rester calme, polie, déférente. Comme il convient.
Il y a 4 ans, Marina était seule à la naissance de Jessica, sa grande fille, son aînée. Elle allait lui offrir tout ce qui lui avait manqué dans son enfance : une maman dans une maison. un petit jardin, peut-être. Des cahiers neufs à la rentrée.
Raté…
Sans revenu suffisant, tu t’en vas gonfler la liste d’attente interminable pour un logement social. Et les propriétaires, où que tu te pointes avec ton ventre plein et ton porte-monnaie vide, ferment leurs portes.
Ses espoirs s’étaient écrasés quand, deux mois avant d’accoucher, elle avait été exclue du chômage. Elle n’était pas bien, elle ne s’était pas présentée quand il fallait où il fallait. Le CPAS, Marina n’avait pas compris pourquoi, en errance déjà dans son rêve émietté, lui avait refusé le droit au revenu d’insertion.
Manger, se soigner, s’habiller, préparer la naissance, mettre sa petite fille au monde, la nourrir, payer le loyer du petit appartement… Parer vaille que vaille au plus pressé : boucher un trou en ouvre un autre… Et puis, ravaler son chagrin, taire les larmes, museler la colère, se redresser. Repartir. Marina avait emmené la petite de bureau en bureau, de guichet en guichet, de déception en désespoir. On l’envoyait chercher des colis à la banque alimentaire.
Des colis !
Personne n’a pris le temps de s’asseoir avec elle à une table pour faire le point. Voir comment s’en tirer, peu à peu et reprendre pied et confiance dans l’avenir.
Jessica avait fait ses premiers pas sur un chemin sans issue. Six mois plus tard, elle était placée. Quand on veut aider un enfant, ne faut-il pas d’abord aider sa famille ? Marina n’a jamais compris. Elle sait seulement que sans revenu, t’es rien. T’es peut-être même pas un bon parent…
Elle marche sur le trottoir où l’on se presse. Évite l’attrait des vitrines. Les yeux baissés. Ils sont deux maintenant, elle n’est plus seule. Elle va offrir à Hugo ce qu’elle n’a pu donner à Jessica. Et puis, la reprendre elle aussi. Son mari veut bien. Il sera un bon père.
Lui, elle l’a rencontré au plus profond de sa détresse. Elle ne devait même pas être belle ce jour-là. Le malheur n’embellit personne. À la rue lui aussi. Sans boulot, lui aussi. On a ce qu’on mérite, disent les gagnants. Marina ne sait pas où ni quand ni comment ils auraient mérité ça. Elle en rage. Personne ne mérite ça.
Un vague copain leur a prêté une caravane, le temps de mettre d’autres papiers en ordre, de courir d’autres bureaux et d’autres guichets. Ils mendiaient devant les supermarchés, pour manger, pour payer le bus du retour au camping. Elle ne dit pas la honte. Les regards qui jugent mais ne savent pas. Elle ne dit pas. Elle sent le petit bouger au creux d’elle-même et elle pense : plus jamais ça.
Après la caravane, ils ont trouvé une chambre à louer. Trop petite, pas correcte pour recevoir sa fille les week-ends selon l’Aide à la Jeunesse. Alors, Marina allait la voir au home quand elle pouvait payer le bus et le train. Pas souvent. Peur de lire dans les yeux de la fillette qu’elle lui demandait de l’emmener ou peur qu’un jour, elle ne la reconnaisse plus… Rancœur de s’entendre reprocher par les éducateurs ses trop rares visites : quand on place un enfant, ne devrait-on pas veiller à ce que sa maman puisse venir l’embrasser ? Marina ne sait plus. Elle ne discute pas. Elle s’accroche.
Pour Hugo.
De la rue à la caravane puis à la chambre meublée, ils avaient changé de commune. Tout à refaire. Chercher un travail. Recommencer les démarches. Se justifier. Se réinscrire partout. patienter. Restaurer ses droits, c’est la galère. CPAS, ONEM, syndicats se renvoient la balle. Tu prends les coups. Tu plies. Même si tu n’en penses pas moins.
Trop petite la chambre, trop chère aussi.
Alors, en attendant… Pour ne pas dormir à nouveau sous les ponts, ils ont trouvé une place dans une maison d’accueil. Mixte heureusement. Ensemble heureusement. Une bulle d’amour autour du petit. Il naîtra dans trois mois.
Ce qu’ils attendent ? Ce pourquoi ils bataillent ? Le paradis. L’impossible. Gagner leur vie. Être chez eux. Comme tout le monde.
Ce récit est une compilation écrite à partir de la lutte quotidienne de plusieurs familles militantes dans le mouvement LST, sous la forme d’une histoire de vie.
Pauvreté - de quoi parle-t-on ?
« On n’a que ce qu’on mérite »…
Peut-être que cela rassure ceux qui le disent ?
Peut-être que cela les libère de leur responsabilité de se mobiliser pour et avec les plus démunis ?
Nombreux sont les plus pauvres à avoir entendu cette sentence brutale.
Personne ne mérite – ni ne choisit – l’insécurité, l’inconfort, la peur, l’exclusion. Les pauvres se retrouvent dans le mauvais plateau de la balance… Parce que la vie les y a fait naître et que leur famille, déjà, luttait pour s’en sortir. Parce que les circonstances les y ont fait basculer et qu’ils apprennent à lutter pour s’en sortir. …Jamais parce qu’ils l’ont voulu. Ni mérité.
Pauvreté, précarité, misère : il convient de savoir de quoi on parle.
» En savoir plus : Vivre pauvre, c’est résister à la misère
» Pauvreté, précarité, misère… De quoi parle-t-on ?
Citoyenneté
Savez-vous comment on sait à coup sûr qu’on est tombé dans la grande pauvreté ?
Quand on ne crie même plus parce qu’on sait qu’on ne sera pas entendu. Quand ce n’est plus la peine de risquer une énième démarche parce qu’on sera à nouveau incompris et refoulé.
Comme ces femmes, ces hommes, ces parents qui se promettent de ne pas s’énerver, de ne pas réclamer, de ne pas se plaindre, de rester calme à chaque démarche recommencée. Comme il convient de l’être pour que leurs demandes soient entendues.
Du point de vue des droits de l’Homme, le premier droit d’un homme, d’une femme, est d’être quelqu’un. Acteur enraciné dans les liens d’une famille et d’une société. Partenaire des choix et orientations qui déterminent la gestion de la cité.
» En savoir plus : La parole des plus pauvres, une chance pour le monde
Sécurité d'existence
La sécurité fait souvent la Une des médias. Mais on parle rarement de sécurité d'existence : pouvoir vivre et non pas survivre, sans peur, savoir sur quoi ou sur qui on peut compter pour demain. Les plus pauvres sont contraints de vivre dans une profonde insécurité à tous niveaux.
Quand la vie en famille est menacée, quand on ne dispose pas d'un logement décent, de revenus suffisants pour faire vivre sa famille, pour se soigner, il y a insécurité d'existence.
La Sécurité sociale avait l’ambition d'assurer une sécurité d’existence. Elle est aujourd’hui fragilisée par des choix politiques dans son financement et ses conditions d’accès. Elle pousse un plus grand nombre vers des systèmes d’assistance sociale de plus en plus arbitraires.
Quand on est continuellement contrôlé et qu'on peut être sanctionné dans ce qu'on met en place quotidiennement pour résister à la misère, seul ou avec d'autres, c'est aussi vivre dans l'insécurité. Par exemple, si on se fait héberger par un proche chômeur ou bénéficiaire du revenu d'intégration qui peut alors perdre une partie de ses droits fondamentaux.
Notre sécurité d'existence est également liée à ce qu'on met en place individuellement ou collectivement pour pouvoir établir un dialogue qui nous permet de nous faire entendre et d'être reconnus comme de réels partenaires.
Explorons ci-dessous quelques dimensions essentielles d'une sécurité d'existence pour tous :
Famille
Un enfant pour bientôt. Une main protectrice sur un ventre qui s’arrondit.
Des espoirs plein la tête.
Et, pour certains, très vite, la peur du lendemain…
Tous les parents rêvent du meilleur pour leurs enfants. Trop vite, les plus pauvres butent sur des obstacles, insurmontables quand ils se cumulent : revenu insuffisant, logement précaire, tracasseries administratives qui tournent au cauchemar, incompréhension, humiliations… Et c’est, d’abord, pour leur famille qu’ils font face. Du mieux qu’ils peuvent. Avec les fragilités qui sont les leurs. Parce que le pire, ils l’ont trop souvent vécu dans leur enfance, c’est le placement des enfants et l’éclatement de la famille.
» En savoir plus : La famille, premier lieu de notre résistance
Logement
Être chez soi. C’est tout simple, ces trois mots-là ?
Pas pour tout le monde.
Pouvoir dire « Je rentre à la maison », quel bonheur ! Quelle sécurité ! Et quelle galère quand on ne peut assurer ce minimum-là à son couple, à sa famille. La rue, la caravane, l’abri de nuit, le meublé, en boucle …
» En savoir plus : Habiter, c’est être chez soi
Revenus, emploi et formation
Travailler.
Assurer la vie de sa famille.
Être autonome. Contribuer aux charges de la société. Malgré leur volonté de prendre leur place, comme tout le monde, les plus pauvres butent sur des règlementations sourdes et aveugles, des contrôles arbitraires, des convocations, des exclusions, sans toujours bien comprendre ce qui leur arrive. Pourtant toutes sortes de mesures et de contrats voient le jour pour aider chacun à se mettre ou se remettre au travail. Qu’en penser ?
» En savoir plus : Emploi et sécurité
d'existence
Développement durable
Assurer un accès à tous les « résidents » de la planète à ce qui est nécessaire pour garantir leurs besoins fondamentaux aujourd’hui et demain : on en est loin !
Mais comment agir pour un développement durable qui n'oublie personne ? Comment construire une société où les besoins de tous sont satisfaits, maintenant et demain, tout en respectant les limites des écosystèmes et ressources naturelles ?
Peut-être en commençant par constater que les logiques qui conduisent à l'exploitation outrancière de l'homme et de la nature font partie d'un même système. Le droit pour une minorité d’accaparer, richesses, ressources, pouvoirs, bloque l’accès à une sécurité d’existence pour tous.
Lutter contre la pauvreté est le 1er des Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies.
» En savoir plus : Pauvreté & développement durable |